« Vous êtes entrés par la grande porte, que vous ayez dix ou cent ans, et, comme les précédentes générations, vous avez été invariablement mis à l’épreuve par l’école. Je veux parler bien sûr de votre traversée du couloir du Passeur Blanc –dont on dit qu’il prend une apparence différente pour chacun de nous -, de cette étrange femme à la pâleur cadavérique que vous avez croisé dans l’aile Est une nuit, ou encore de cette voix mélodieuse qui a bien failli vous faire pousser la porte du Boudoir condamné du deuxième étage alors que vous preniez la direction de votre dortoir. Certains ne sont pas ressortis indemnes de ces expériences, mais pour l’essentiel, vous êtes encore là, fourmillants de vie dans les entrailles de notre bonne école.

Depuis que le Ferme-l’œil est venu vous chercher, j’imagine que vous n’avez eu de cesse de vous demander ce que vous faisiez-là. Pourquoi vous avez-t-on astreint à quitter vos amis, votre famille pour ce trou perdu, et surtout pourquoi vous avait-on choisi vous ? Je n’aurais pas pu rêver question plus simple. –Vous êtes exceptionnels. Ne me regardez pas comme ça, vous êtes véritablement exceptionnels. Oh non, pas au sens où vous l’entendez – il est vrai que la plupart d’entre vous relèvent plus des gosses braillards que des jeunes gens civilisés -, vous êtes exceptionnels parce que vous portez le Don. Comprenez-le bien, ce pouvoir avec lequel vous vous amusez en toute insouciance est le fruit des sacrifices de vos parents, grands-parents, arrières grands-parents et ancêtres depuis des millénaires et non pas le résultat hasardeux d’un croisement génétique prometteur. Voilà ce qui fait de vous un être exceptionnel, vous êtes un enfant du sacrifice.

On vous a sans doute parlé de druides, d’archimages, de sorcières quand vous étiez plus jeunes. Si j’étais vous, je n’emploierai pas un ton si léger, car, loin de tout ce qu’on a pu vous dire pour vous assurer qu’ils étaient fictifs, ils sont bien réels. Si vous avez suivi avec attention les cours d’histoire dispensés par monsieur O’Leary, vous vous rappellerez certainement que Rhyddid fut fondée sous la forme d’une institution itinérante au cours du moyen-âge. Etrangement, à cette époque, on pratiquait la chasse aux sorcières. Coïncidence ? Non jeunes gens, c’est bien pour vous protéger vous –vos ancêtres- et le Don que vous avez été conduit ici. Les sorcières de mon histoire n’étaient pas plus sorcières que vous et moi, et pour la plupart, comme vous l’aurez deviné, le sang bleu coulait dans leurs veines. Il s’agit là d’une démonstration bien tragique de ce qu’il advient lorsque l’on laisse croitre son don hors de tout contrôle, songez-y, vous qui êtes jeunes.

Peut être un jour vous tiendrez-vous à nos places, ici même, et alors, ce sera votre tour de raconter aux plus jeunes comment on a persécuté leurs ancêtres, comment, forcés de se cacher pour survivre, nous avons étouffés nos dons, réprimés, affaiblis à l’instar de nos âmes. Oui, racontez-leur tout cela. Il n’est plus temps d’être enfant.

Vous êtes entrés par la grande porte. Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour sortir également la tête haute. Il y a tant de secrets, tant de vérités qui ne demandent qu’à être découvertes ici, il n’est pas impossible que les secrets de votre passé y sommeillent aussi. A vous de jouer à présent ! »